Place des produits laitiers dans l'alimentation, une nécessité pour notre santé?
05 févr. 2023Des idées reçues largement partagées
La plupart des gens ont des idées reçues sur les produits laitiers, pas toujours les mêmes suivant les individus, et souvent d'un extrême à l'autre.
En effet, tous les produits issus du lait ne se valent pas non plus: les apports du lait 1/2 écrémé sont bien différents de ceux de la crème fraîche, du fromage à pâte pressée, du yaourt... De même, suivant l'origine du lait, géographique, saisonnalité, animal d'origine et type d'élevage. Nombreuses personnes pensent qu'il est nécessaire pour la santé de consommer ces produits, de même que la consommation de viande, mais n'expliquent pas pourquoi ni pour quoi. Les lobbies de cette filière ont diffusé tant de slogans qu'ils ont imprégné nos mémoires, mais pas nos argumentaires!
Le principal argument bien retenu c'est: le meilleur moyen de construire, conserver une ossature solide. Une recommandation qui s'adresse à tous les âges de la vie. En effet, les pourcentages en calcium y sont très importants, mais quid de l'absorption?
Une place importante dans l'industrie alimentaire
La consommation de lait de vache est traditionnelle dans de très nombreuses régions françaises: Normandie, Bretagne, Franche-comté, Alpes, Auvergne, Pyrénées... Afin de conserver le lait périssable, des techniques de fabrication de fromages ont vu le jour un peu partout sur notre territoire et ont fait de la France un grand pays du fromage. Les échanges commerciaux nous ont apporté le savoir faire bulgare, grec,mongol des yaourts , le skyr des nordiques...
Afin d'agir contre l'alcoolisme et la dénutrition, le président du conseil Pierre Mendes France met en place un programme de remplacement de l'alcool par une boisson nutritive en direction de la jeunesse. En 1954, il promeut la collation matinale avec le lait à l'école avec force arguments d'intérêts de santé publique. En fait, il s'agissait aussi de renforcer la filière laitière comme force économique pour le pays... Dans ce même discours, il encourage à manger du sucre, qui rendrait fortes les populations. On est aujourd'hui certain qu'il ne s'agissait pas d'améliorer la santé des français au sortir de la guerre mais plutôt de favoriser la filière sucrière au travers des cultures de betteraves. de quoi douter des légitimités des allégations de certains politiques...
L'industrie laitière pèse, depuis 70 ans, très lourd avec 250000 emplois et 30 milliards d'euros de CA. c'est d'ailleurs le premier investisseur publicitaire: de quoi influencer un large public. Certains nutritionnistes sont proches des filières laitières et peuvent influencer de par leur spécificité professionnelle, de nombreux consommateurs, il s'agit ici de situations de conflits d'intérêts.
La formation des diététiciens, paramédicale, est règlementée et les références nutritionnelles sont données par l'ANSES notamment https://www.anses.fr/fr/content/le-calcium. Les apports en calcium ont été revus depuis un peu plus d'un an pour toutes les tranches d'âge de la population, passant de 950mg/j à 1000mg/j pour des jeunes de 18 à 24 ans https://www.anses.fr/fr/content/les-r%C3%A9f%C3%A9rences-nutritionnelles-en-vitamines-et-min%C3%A9raux . Difficile au vu des consommations courantes dans notre pays, d'atteindre cet objectif sans produits laitiers. La recommandation en restauration collective est d'une composante laitière par repas: soit un yaourt ou fromage, ou fromage frais/ blanc.
Depuis janvier 2022, suppression de l'appellation bio pour les produits "laits végétaux" enrichis en lithotamne (calcium d'algue), les consommateurs voulant remplacer le lait animal par du végétal et conserver le même apport en calcium ne devront plus acheter bio... https://ingrebio.fr/2022/03/18/fin-lithothamne-boissons-vegetales-biologiques/
Des populations ne consommant jamais ou peu de produits laitiers
De nombreuses populations d'Asie n'ont pas de consommation traditionnelle de produits laitiers( Vietnam, Cambodge...). Au Japon, c'est depuis la fin de la seconde guerre mondiale que les produits laitiers ont fait leur apparition dans la consommation courante. La mondialisation a été un facteur incitatif à la consommation de ces produits, partout dans le monde, c'est un phénomène du siècle dernier.
Sur ce document on peut constater que le lien entre apports calciques ( via les produits laitiers principalement pour les pays européens, d'Amérique du nord notamment) plus importants dans les pays "développés", et les incidences de fractures peuvent être inversement proportionnelles. En France, les recommandations de l'ANSES pour le calcium sont très élevées, les apports sont considérés comme importants mais, les incidences de fractures( liées à l'ostéoporose surtout) ne sont pas aussi faibles qu'en Asie.
Même si l'âge est vecteur de chutes (dues à une déficience musculaire, souvent) et donc fractures, il n'explique pas les écarts constatés.
Le calcium des produits laitiers ne semble pas si protecteur qu'on nous le vante...
Dans les régions d'Afrique référencées, même constat.
Concernant la richesse des produits issus de laits animaux en protéines de bonne qualité digestive, leur consommation peut-être de bon rapport dans des populations qui n'ont pas accès régulier aux viandes et légumineuses.
Des intolérances très répandues et des allergies parfois
Le lactose est le sucre du lait, composé de galactose et glucose, il a besoin d'une enzyme spécifique ( la lactase) pour être digéré. Cette enzyme est présente chez les enfants en bas âge et perdure en général le temps de l'alimentation supposée au lait maternel, puis, sa fabrication diminue et chez nombreux adultes, disparait. C'est alors qu'apparaissent les troubles lors de la digestion: ballonnement diarrhées, maux de ventre... Les fromages , surtout à pâte dure et les yaourts ne contiennent que très peu ou pas de lactose et peuvent être ingérés par nombreux intolérants. Le lait et fromages frais restent problématiques, mais aussi la poudre de lait qui est souvent ajoutée aux yaourts ou autres préparations afin d'en épaissir la texture ou enrichir en protéines un plat salé ou sucré. Il existe un test respiratoire à faire chez le médecin afin d'être sûr d'être ou pas intolérant au lactose. L'intolérance au lactose étant la norme au niveau mondial, n'est donc pas une maladie.
Plus problématiques, les allergies, qui peuvent avoir de graves conséquences. Elles représentent 4% chez les enfants et ce sont des protéines du lait qui en sont responsables. Tous les produits laitiers sont susceptibles de provoquer une réaction allergique car aucun n'est sans protéine, même le beurre qui en contient moins de 1%, en contient tout de même. Il faudra surveiller les compositions de tout plat préparé pour traquer les protéines problématiques: poudre de lait, lait, fromage, whey= petit lait utilisé dans les compléments enrichis en protéines...
Maladies liées à la consommation de lait et produits laitiers, quelles preuves?
Des problèmes d'acné juvénile et plus tardivement, peuvent être dus aux produits laitiers: pour savoir si c'est votre cas une éviction pendant 1 mois pourrait mettre ou pas en évidence leur action.
Aucun consensus sur le gain de poids, l'acidification du corps, ou autre problématique de santé n'a été mis en évidence avec une prédominance de résultats de nombreuses études sur telle ou telle maladie. Dû au peu d’engouement des lobbies pour des études contradictoires, à la grande diversité des produits concernés, trop peu de preuves"scientifiques" permettent des affirmations tranchées, dans les deux sens.
Cependant, les micro-organismes présents dans les yaourts ( lactobacilles surtout) et fromages ont été reconnus comme protecteurs du côlon. Mais les fibres des végétaux ont également fait la preuve de leur efficacité, encore supérieure dans ce domaine. Des boissons riches en micro-organismes intéressants pour notre microbiote et sans produits laitiers, sont aussi très recommandables, quand ils ne sont pas ou très peu sucrés: kéfir de fruits, Kombucha, Rejuvelac...
Concernant les cancers, des doutes persistent concernant celui de la prostate chez l'homme et de l'endomètre chez la femme: un risque accru chez les gros consommateurs à 3 produits laitiers minimum par jour et en quantité importante.
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31089741/
Un lien entre cancer du sein et lait liquide pourrait également exister mais la raison n'est pas claire.
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32095830/
En cas de cancer déclaré, le Dr Seignalet "l'alimentation ou la 3e médecine" propose un régime dit hypotoxique où les produits laitiers sont exclus( entre autres aliments comme le sucre simple, le gluten...).
Le sujet est brûlant, il touche aussi notre affect et nos traditions en plus d'impacter un lobby très puissant.
Devant toutes ces contradictions, la question reste, quel intérêt santé de consommer des produits laitiers, tout simplement?
Les protéines étant disponibles dans de nombreux aliments, elles n'en sont pas l'argument. Par contre, le calcium en grande quantité dans tous les produits laitiers en est un!
Présence de calcium alimentaire et digestibilité
En France, l'ANSES fixe les recommandations d'ingestion en calcium à environ 1g/jour/adulte et plus chez les adolescents (1150mg/j). pour obtenir ce quota, nul doute que les produits laitiers vont être utiles, mais, ils ne sont:
- pas les seuls pourvoyeurs de calcium en quantité importante
-pas forcément riches en calcium très assimilable par l'organisme: nous ne sommes pas ce que nous avalons mais ce que nous assimilons, et ça fait la différence!
Un petit tableau récapitulatif des produits les plus riches en calcium lié aux portions recommandées ou traditionnelles et aux quantités réellement assimilées permet d'y voir plus clair.
On remarque que les taux d'absorption des produits laitiers ne sont pas les plus élevés mais que les quantités ingérées avec les doses présentées approchent de près les recommandations. Les choux cavaliers et chinois arrivent en tête du classement, qui l'eût cru! Par contre, la quantité ingérée est moindre en comparaison d'un yaourt et un verre de lait.
Les graines de sésame ont un rapport très intéressant: si on multipliait par 10 pour équivaloir un verre de lait, elles apporteraient 310mg de calcium, soit plus de 5 fois plus que le lait. Bien sûr, cette quantité est déraisonnable au quotidien mais illustre bien que les produits laitiers ne sont pas indispensables pour nos besoins en calcium quotidiens. Ces besoins assimilés sont de 260mg/J pour un adulte, et c'est ceux là qui devraient être pris en compte pour des calculs diététiques.
On peut donc parfaitement atteindre les besoins en calcium sans produits laitiers.
Choix éclairé des produits laitiers
Un choix peut être fait en fonction des matières grasses car 60% des lipides laitiers sont des acides gras saturés. Plus le produit est concentré, déshydraté, plus il est riche en ces lipides peu recommandables: fromages pressés, secs avec environ 30% de matière grasse, c'est beaucoup! La crème fraîche entière est un concentré de lipides à profil discutable de même que le beurre, cependant riche en vitamine A.
Les apports en protéines ( très digestes et au profil intéressant) peuvent être utiles pour les végétariens afin de complémenter une alimentation pauvre dans ce domaine, le skyr, yaourt traditionnel nordique dégraissé riche en protéines ( 9% au lieu de 4%) peut être une bonne alternative. Le skyr et yaourt contiennent des micro-organismes protecteurs pour notre système digestif.
L'utilisation de lait liquide semble discutable au vu des apports, reste la fonction plaisir pour les adeptes.
Concernant le choix des élevages, souvenons nous que ce que l'animal mange, nous le mangerons à notre tour ( se souvenir de l'alimentation en farines animales donnée à ces herbivores qui donna lieu à la tremblante des vaches puis à la maladie de Creutzfeldt Jakob).
Concernant les animaux nous donnant le lait (n'oublions pas que ces mères ont perdu leurs petits pour que leur production nous soit destinée) celui des brebis est le plus gras, suivi de celui des chèvres et enfin celui des vaches. Les apports protéiques diffèrent qualitativement et il semble que celui des animaux plus petits soit plus adapté aux besoins humains, de même que les facteurs de croissance et molécules immunitaires.
Un autre facteur concernant les bovins, la race des vaches influe sur les qualités du lait: ainsi la Prim' Holstein ( race créée par sélections génétiques successives afin d'être plus productive en lait) produirait des caséines ( protéines du lait) moins digestes que certaines races plus rustiques comme la jersiaise.
Quelles solutions alternatives et intérêts?
De plus en plus de personnes se tournent vers les "laits végétaux", dont les qualités nutritives n'ont rien à voir avec les versions animales.
Premier constat, pas de vitamine D ni vitamine A ou bêta carotène dans les laits végétaux: est-ce important? Non si on consomme des végétaux orangés en suffisance pour la famille vitamine A ils en apportent bien plus qu'avec le lait. Non plus concernant la vitamine D car le taux est vraiment très faible par rapport à nos besoins et notre synthèse au soleil est bien plus conséquente. Ceci fera d'ailleurs l'objet d'un prochain article...
Les teneurs pour les laits végétaux sont de ceux vendus dans le commerce, si on les fait maison comme je le recommande, les apports peuvent être beaucoup plus intéressants: suite dans un prochain article sur mes recettes et processus de fabrications de laits végétaux, délicieux, nutritifs, pas chers bien qu'en bio et avec moindre déchets.
Concernant les fromages, il existe des versions vegan avec des amandes, du soja , des noix de cajou. Certains sont délicieux ( mais chers) et peuvent aider à remplacer ponctuellement les versions traditionnelles. Les apports sont encore une fois très différents dans les macronutriments ( protides, lipides, glucides) mais pas inintéressants. Encore une fois, des versions faits maison sont tout à fait recommandés car vraiment plus abordables. Encore un article technique à faire, bientôt, c'est promis!